A l'occasion de la sortie des coupons de 50 X 70 cm sur la boutique en ligne, je me relance dans un nouvel article de blog et prends la pose sous le ciel chaud de Charente-Maritime où je passe quelques jours chez mes parents à côté de Surgères. Ce portrait "caché" pris par ma Maman histoire de dissimuler ma petite tête fatiguée en arrivant mais reposée à l'issue de ce court séjour "chez moi" mais surtout pour imager le fait que l'artisanat reflète l'artisan. Et puis pour compléter l'image, cet article en guise d'autoportrait : ma manière à moi de vous dire que sur chaque tissu c'est au final un peu de moi que j'imprime.
Qui se cache derrière le tissu Kahobas?
Une étudiante en école de commerce et développement de Lyon, partie après le bac sac au dos pour de nouvelles aventures ailleurs. Deux mots qui résonnaient fort dans ma tête d'ado et qui trouvèrent un écho dans une nouvelle vie en alternance entre Lyon et l'étranger. Entourée de copains aux idéaux partagés et de rencontres avec la différence, je passe 4 ans inoubliables. J'opte vite pour le développement au détriment de l'humanitaire/l'urgence et oriente mes stages et premiers postes autour de l'accompagnement des petites entreprises.
Une jeune femme partie vivre en Haïti et qui se heurte à des humanitaires pas jolis jolis et subit vite un petit tremblement de terre dans ses convictions. Mais je me trouve employée par une chouette ONG, bosse pour une mission convaincante (le financement de TPE artisanales détruites par le séisme), rencontre les bonnes personnes, mène une vie d'expat' toute en curiosité et raisonnée je crois. Et puis par dessus le marché, j'y rencontre l'homme de ma vie. J'en rentrerai avec le regret d'être partie trop vite (sûrement conditionnée par le réflexe de l'humanitaire qui cherche à "faire" le plus de pays possible plutôt qu'à VIVRE dans le pays), la promesse d'y revenir, des amis pour la vie et une vision des choses changée. Ce sont les petites entreprises qui font avancer un pays qui souffre et pas les perfusions humanitaires qui ne sont qu'un palliatif. Selon moi, il faut changer les règles du jeu, les lois du commerce mondial principalement. Celles qui font notamment que le riz américain est moins cher que le riz haïtien et que l'agriculture locale est en perdition. Aujourd'hui, le système est hypocrite : je te donne d'une main ce que je te prends de l'autre. Les entreprises artisanales et légales produisent de la valeur ajoutée localement et réduisent la dépendance du pays par rapport à ses importations. C'est d'elles dont Haïti à besoin.
Une convaincue qui persiste dans la solidarité internationale et qui part à Madagascar pour un poste dans la coopération décentralisée. Véritable acte manqué, ce pays aura tout de même le temps de confirmer ce que je pensais. Rien n'est fait pour offrir les bonnes conditions de production aux agriculteurs et artisans de la filière soie sauvage, au centre du pays où j'entame une nouvelle et courte vie à la campagne. Comment s'aligner aux côtés des gros poissons du textile tout en valorisant les petites exploitations et promouvant un artisanat authentique et peu mécanisé? J'en conclue alors que "small is beautiful" mais pas forcément viable et ça me rend triste. Cette échelle du petit, ou plutôt de l'humain et du local, est pour moi bonne à tous les niveaux (santé, environnement, économie) et nous écarte de bien des dangers dûs au consumérisme qui nous menacent chaque jour et que l'on désigne pourtant comme le progrès. J'entame alors un tournant dans mon mode de consommation qui apparait pour moi comme un moyen de militer, d'agir. Et puis je retourne ma veste et me range alors du côté des urgentistes...ma prochaine expérience, je la veux dans le privé.
Une amoureuse qui suit son amoureux dans ce grand bac à sable qu'est la Mauritanie. Un pays un peu plus hermétique et donc long à découvrir. Et puis le Jura nous appelle sérieusement, il faut rentrer au bout d'un an et demi, le temps de se faire de bons amis et d'avoir un peu fouler le désert. Alors embauchée en contrat local au sein d'une entreprise d'énergie solaire, je prends mon pied niveau boulot. Les enjeux de l'énergie solaire et de l'électrification rurale décentralisée sont majeurs en Mauritanie. La petite entreprise dans laquelle je travaille est l'incarnation de ces convictions que je me suis forgées au fil de mes expériences. Les TPE et PME sont responsables de ce cercle vertueux qui consiste à payer des impôts, employer des gens locaux, faire émerger une classe moyenne dont le pouvoir d'achat augmente et alimente l'économie locale, limiter la fuite des cerveaux etc etc...vous m'aurez comprise...
Une trentenaire qui rentre chez elle, en France, là où elle se sent le plus à sa place et qui, à l'image des tous ces entrepreneurs accompagnés et croisés, va monter son propre atelier. Pour rire au début, pour vivre à la fin. Je replonge alors dans mes cours de gestion financière et de compta que j'abhorrais quand j'étais étudiante. Je me forme à la sérigraphie et apprend beaucoup toute seule. Et je vous propose en novembre 2016 des sacs et des trousses imprimés à la main et cousus par ces petites mêmes petites mains, les miennes. Je commence peu à peu à piger la différence énorme entre créateurs et artisans. Je plonge dans ce monde inconnu qu'est la mode, les accessoires de mode, les distributeurs, le vrai prix des choses, le travail acharné. Et fin 2018, des questions me viennent : "pourquoi Kahobas, pourquoi des trousses, pourquoi des accessoires?". Car dans "accessoires de mode" il y a "accessoires" et ça ça me chiffonne. Je choisis alors de réorienter Kahobas en vendant du tissu tout en conservant des créations cousues et d'entrer dans le mouvement du "faire soi-même", un élan qui gagne du terrain chez nous et que je cautionne à fond. Du tissu ça sert à faire des choses utiles, à faire soi-même ce dont on a besoin, à faire plaisir, à exploiter sa créativité si souvent délaissée dans les emplois d'aujourd'hui... L'objectif est aussi économique car un modèle éco basé à 100% sur la vente de créations imprimées ET cousues à l'atelier n'est clairement par viable (trop peu de marge, capacité de production très faible).
Une artisan qui entre dans une période de résilience et doit se battre chaque jour pour sortir un salaire à la fin de chaque mois. En effet aujourd'hui l'avenir est fébrile, j'ai clairement le feu au fesses car je dois rapidement répondre par l'affirmative à l'équation "puis-je vivre décemment de mon artisanat?".
Alors vous qui êtes couturier, couturière, tapissier, à la recherche de tissu BIOLOGIQUE, DURABLE et ARTISANAL, je suis très heureuse de vous présenter ces tissus imprégnés de toutes mes vies! Des tissus qui ont du sens ou en tout cas qui incarnent mon sens de voir les choses dans ce monde qui ne tourne pas rond mais qui ne s'effondrera pas au regard de nos territoires bourrés de gens qui pensent que "tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin".